Demain, on se déconfine, entend-on dire. Nous non, pour cause de grossesse (c'est la règle apparemment, ça me classe en catégorie "à risque").
Ça me donne l'impression d'être à la fin d'une fête (la comparaison est hasardeuse, je sais...), tout le monde part, moi j'ai envie de rester, je veux que la fête continue, et je dis aux gens qui mettent leur manteau "oh non, ne partez pas !..." mais tout le monde part quand même, et bien que je ne sois pas l'organisatrice de la fête, je me retrouve dans cette immense salle des fêtes toute vide avec les organisateurs, justement. Il est 4h00 du matin et comme on doit rendre la salle propre et rangée à 10h00, il faut faire le ménage maintenant. Il faut passer le balai, la serpillière sur les flaques de boissons alors qu'on a un peu trop bu et mangé de chips, qu'on est serrée dans la ceinture de sa robe de fête et qu'on n'a qu'une envie, aller se coucher. Tout à coup, on a un peu froid. Et quelqu'un a la mauvaise idée de rallumer les néons pour mieux voir les miettes. Il faut faire des boules avec les nappes en papier et les mettre dans les poubelles, mais les poubelles sont pleines alors il faut tasser. Il faut aller vider les gobelets pas terminés dans l'évier de la cuisine glaciale comme une cuisine de boucherie, derrière (avec cuisinière professionnelle 8 feux, frigo 1000 litres et tables à roulettes en acier inoxydable). On cherche partout si il y a un sac jaune pour les gobelets, comme on n'en trouve pas, on finit par tout mettre en vrac dans les poubelles noires. Il faut empiler toutes les chaises en plastique marron dans un coin précis de la salle (on a une photocopie couleur rangée dans une pochette plastique transparente pour classeur, pour nous montrer comment on doit précisément ranger chaque chose si on ne veut pas payer en plus le forfait rangement/ménage à 50 euros). Il faut décrocher les 4 guirlandes et 6 rosaces installées à 16h00 la veille, il faut balayer, et re-balayer ce carrelage beige moucheté de beige plus foncé, il faut replier les tables sans se pincer les doigts et ça fait un grand "clac" agressif dans la nuit. Il faut mettre les restes dans des boîtes, couper le cellophane sans ciseaux et ça fait des lambeaux, pour mettre par-dessus le saladier de salade de riz aux tomates de janvier et de maïs en boîte, il faut couvrir aussi le reste de macédoine, il faut remettre les fromages qui ont coulé sur le plat dans leur boîte à fromage qui pue, il faut mettre dans le coffre de la voiture ce restant d'opéra au chocolat mais les parts sont découpées, et la boîte en carton du pâtissier a été éventrée pour faciliter le découpage, alors ce n'est pas pratique du tout, mais si on veut aller se coucher il faut bien s'en occuper. Il faut vider les bouteilles pas vides, sinon elles risquent de se renverser dans le coffre sur le trajet de la bulle à verre. Il faut vider le lave-vaisselle, zut on avait oublié de laver ces assiettes et ce plat, ah, et ces couverts à salade, c'est pas grave, on va le faire à la main, il y a du paic citron jaune fluo qui pique les mains et attaque les voix respiratoires au premier contact, et une éponge sale gorgée de produit vaisselle gris et d'eau glacée, nickel. On croit qu'on en a fini mais il faut encore sortir les poubelles et retrouver la clef du local à poubelles, le couvercle de la poubelle était humide d'on ne sait pas quoi (de jus de poubelle sûrement) alors on a envie de se laver les mains, du coup on retourne dans l'horrible cuisine pour se laver les mains, il n'y a que le paic citron, tant pis on se lave les mains au paic citron, le torchon est trempé et n'essuie rien, et il y a encore mille sacs à mettre dans le coffre, sans compter qu'on a oublié de nettoyer les toilettes, zut, on a renversé un vieux fond de gobelet par terre, il faut ressortir la serpillière, et on ne va jamais en finir. Et si on était parti en même temps que les autres invités, si on n'avait pas eu cette envie irrépressible de rester jusqu'au bout de la fête, on serait en train de dormir. Et il faudra encore se brosser les dents et se démaquiller, à la maison. Et il faut dire au revoir avant de partir alors qu'on a envie de rentrer chez soi pour faire pipi dans ses toilettes.
Voilà où j'en suis, ce soir, à la veille du déconfinement.