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31 août 2019

Comme je suis heureuse et à la fois tellement

Comme je suis heureuse et à la fois tellement malheureuse.
Comme je me sens punie.
Comme malgré la preuve scientifique que nous ne sommes pour rien à ce qui est arrivé à notre minuscule A., je n'arrive pas à me défaire de la sensation d'avoir mal fait, d'avoir loupé, d'avoir mal suivi la recette, de n'avoir pas su faire...
Comme je voudrais un bébé et en même temps je ne veux pas d'autre bébé qu'elle.
Comme j'envie mes amies enceintes, leur joie, leur épanouissement, leur légèreté.
Comme ce fut atroce de devoir choisir.
Comme nous ne voulions pas choisir.
Comme nous aurions préféré ne pas savoir, en fait.
Comme je ne regrette pas notre choix, et comme à la fois je le regrette complètement.
Comme ça m'a bouleversée d'apprendre que Philippe Katerine avait dû être opéré à huit ans d'une cardiopathie.
Comme c'est difficile de se projeter dans le handicap quand on ne connaît pas le handicap.
Comme on ne peut pas imaginer, malgré tous les témoignages possibles et imaginables recueillis.
Comme elle était belle, et ses doigts fins, et ses ongles microscopiques.
Comme ses cheveux, ses cils et sourcils étaient blonds-blancs.
Comme on peut avoir pris une si grande place, même seulement en quelques mois, en se manifestant juste par des petits coups, de l'intérieur.
Comme elle lapait le liquide amniotique, quand nous la voyions aux échographies.
Comme je veux revenir en arrière, qu'elle soit encore là mais qu'elle aille bien.
Comme je la veux, elle.
Comme c'est injuste.
Comme c'est une chance incroyable d'attendre un bébé qui va bien.

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10 août 2019

Je crois que c'était pendant les vacances de

Je crois que c'était pendant les vacances de Pâques, avant tout ça.
J. était à Paris ou au boulot, et moi je restais à la maison avec J..
J'étais super fatiguée, du genre à m'endormir dès que je m'asseyais. J'avais des nausées terribles, provoquées par l'idée des poireaux, des oignons et du vinaigre, du porridge et du lard. Et je passais mes journées à penser à des poireaux, des oignons, du vinaigre, du porridge ou du lard.
Je lisais un livre de Ken Follett dans les bras de mon fauteuil de salon, j'étais tellement prise par ma lecture que j'étais au Moyen-Âge et je redoutais de me faire attaquer par cet atroce type dont j'ai oublié le nom mais qui n'avait qu'une idée, piller, tuer, violer, se venger.
J. s'était déjà pris de passion pour les restaurants et installait sur notre porte d'entrée son menu. De la quiche aux lardons, du porridge, ce genre de choses...
Il fabriquait mille fiches "plat du jour" avec les prix, à accrocher dans le restaurant avant chaque repas.
Je lui donnais un classeur et des pochettes transparentes pour ranger ses fiches, ce qui l'occupait à peu près 3 heures.
Et moi je lisais, par moments il me coupait et on discutait cuisine, restaurant. On a fait ça plusieurs jours, tous les deux bien sereins.
J'avais envie de vomir, mais j'étais bien, là, entre mon livre, mon fils, mon fauteuil et mon ventre.

5 août 2019

la blessure

Le 14 juin, j'avais mis ma robe noire avec des leggins et mes chaussures à pois. Il pleuvait et j'étais de mauvaise humeur, on devait passer chercher le pain au marché devant la gare avant d'aller à l'école, sauf qu'on était déjà en retard à l'école. J'étais en colère, sans trop savoir pourquoi, c'était ce genre de jours où on est mécontent alors que la veille ça allait et qu'on sait bien que le lendemain ça ira.

Sur le coup de 9h00, le pain était acheté, Jo déposé à l'école, finalement tout avait été, ça ne valait pas tant de mauvaise humeur. J'écoutais la radio, c'était l'heure de Boomerang. Il me semble que j'avais fini de faire la vaisselle, et qu'alors j'étais plutôt d'humeur dansante.
Et c'est là que j'ai reçu le coup de fil. Celui qui a fait basculer, trébucher, s'étaler ma vie sur le bitume. Je me souviens de mon téléphone posé sur la table, qui sonne, avec un numéro inconnu noté sur l'écran. Je me vois décrocher pleine d'enthousiasme, et aller m'asseoir, va savoir pourquoi, sur le lit de Jo. Je me souviens de l'homme qui se présente, et de son "malheureusement je vous appelle pour vous annoncer une mauvaise nouvelle". Je me souviens que j'ai tout de suite compris et qu'il a pensé que quelqu'un d'autre me l'avait déjà annoncée avant lui. Je me souviens de l'impact que ces mots ont eu sur moi avant même qu'il m'ait expliqué exactement de quoi il retournait, "malheureusement", "mauvaise nouvelle". Je me souviens de la façon dont j'ai senti mon coeur se liquéfier en moi. Je me souviens que j'ai pensé alors à la joie de Petit J. à l'idée de devenir grand frère. Je me souviens du flottement, après le coup de fil, du "mais non" répété en boucle dans ma tête. Je voulais que mon bébé aille bien. Je le souhaitais de toute mon âme.

Et puis après, comme si je tombais au ralenti, mes genoux déjà écorchés par l'annonce, c'était ma tête qui cognait par terre en allant faire l'amnioscentèse, c'était mon nez qui se brisait quand se fissurait la poche des eaux, c'était mon foie qui éclatait quand je passais la nuit à perdre du liquide amniotique allongée dans ce lit d'hôpital. C'était mes os qui se fracassaient quand je recevais ce nouveau coup de fil qui me confirmait le mauvais premier résultat. Et malgré tout ça, j'étais toujours vivante.

On mesure la gravité de ce qui nous arrive au fait que tout le monde se met à nous appeler par notre prénom. "Bonjour Elisabeth, comment allez-vous ?" me demandaient ce cardiologue, cette généticienne lyonnais, d'un air compatissant. Tout le monde se met à vous parler avec douceur. Tout le monde vous connaît, la secrétaire que vous n'avez jamais vue vous dit "ah, madame C. !" quand vous arrivez. Vous recevez des mails de sage-femmes qui vous proposent un contact avec une amie chère à leur coeur qui a vécu la même chose que vous. Votre sage-femme vous propose de passer au tutoiement et termine ses sms par "je t'embrasse".

4 août 2019

Mardi soir, en revenant chez moi, j'étais devenue

Mardi soir, en revenant chez moi, j'étais devenue errante. Je n'ai pas compris tout de suite ce qui m'arrivait, je passais de pièce en pièce comme si je cherchais quelque chose, sans bien savoir quoi. Je regardais dans tous les coins, j'inspectais mon bureau, je regardais dans les poubelles. Je ne m'asseyais pas, je marchais, doucement, en regardant partout. J'avais perdu quelque chose. Et puis j'ai compris que je cherchais des traces d'elle. Mais bien sûr, elle n'avait rien oublié en partant, elle n'avait pas perdu de cheveux, elle n'avait rien déplacé et rangé différemment de d'habitude.
Je cherchais des traces de ce qui avait été avant qu'elle ne soit plus là. Je voulais voir les épluchures de fruits que j'avais mangés avec elle, je voulais voir comment j'avais plié le linge avant, comme si je n'étais plus la même (je n'étais plus la même) et que je voulais voir comment faisait l'Elisabeth d'avant, pour ce genre de choses. Je buvais dans un verre lavé avant, enveloppée, rassurée, comme si c'était une maman qui l'avait lavé pour moi, donc forcément bien lavé, particulièrement bien lavé, comme je n'étais plus capable de laver.
Je pensais que l'endroit où elle était restée, l'endroit qu'elle avait bien connu, finalement, je le portais toujours sur moi. Je n'osais plus me toucher le ventre.
Je regardais par la fenêtre en me demandant ce que j'y voyais, avant. Et qu'avais-je regardé, remarqué, alors qu'elle était encore là ? Et tout me semblait bizarre, connu mais étranger, car elle n'était plus là, et que sans elle j'étais abandonnée et perdue.
Le voisin de derrière avait défriché son jardin, pour la première fois en presque 4 ans que nous habitons là, et je lui en voulais un peu d'avoir fait ça à ce moment-là, je voulais que rien ne bouge, que tout reste comme avec elle. La nouveauté était comme le paysage du train qui défile en vous séparant de plus en plus de celui que vous aimez, la nouveauté m'éloignait d'elle, c'était comme une petite trahison, comme regarder la suite du film sans elle.
Je trouvais des pêches et brugnons achetés au marché avec elle, en lui décrivant dans ma tête la beauté de l'étal.
Je re-reniflais ce petit bout de laine qui sentait elle, je re-regardais ces empreintes de ses pieds fins, je relisais les 5 mots de son bracelet de naissance. Je voulais la boire, la manger, l'ingérer, et j'avais si peu d'elle.

3 août 2019

le coeur

Je n'avais pas imaginé le bien que ça me ferait.
C'était son idée, il voulait exactement le même coeur brodé que celui que je lui ai bricolé, à elle.
Depuis la semaine dernière, depuis qu'il l'avait vu, ce coeur, il voulait le sien.
J'avais dit oui mais je ne l'avais pas encore fait, je crois que je n'avais pas calculé la puissance de cette minuscule broderie.
J'avais brodé un minuscule coeur sur un petit morceau de tissu blanc, doublé d'un petit reste de liberty à fleurs, dans l'idée de le mettre tout contre cette minuscule petite fille. Je pensais le faire pour elle, pour l'accompagner, pour lui dire encore et encore combien je l'aimais, et pour lui tenir chaud.
Et il s'est avéré que ce coeur allait nous soigner, nous accompagner, nous tenir chaud, à nous aussi. A lui, et à moi.
Ce matin, il a pleuré, il était triste, elle lui manquait. Il nous a dit que tout ça l'énervait.
Pendant le petit-déjeuner, il a réitéré sa demande que je lui brode le même coeur que le sien, celui qu'on lui a laissé, serré entre ses mains et son coeur.
Je n'avais qu'à moitié envie, mais j'ai dit oui, et ça l'a tout de suite rendu heureux. Je voulais l'apaiser, lui faire du bien.
Alors après ma douche, nous avons ressorti ma valise de tissus, il insistait sur l'importance d'utiliser exactement les mêmes, que nous avons retrouvés tout de suite sur le dessus, puisque le sien, je l'avais brodé il y a tout juste sept jours.
Il voulait que le petit rond de tissu blanc sur lequel j'allais broder soit exactement de la même taille, et heureusement, il restait le trou rond découpé dans le tissu la semaine dernière, pour avoir la même taille et même exactement la même forme de rond un peu ovale.
Il ne restait presque plus du fil à broder rouge, mais en utilisant tous les micros morceaux qui restaient, je suis arrivée au bout du coeur.
J'ai retrouvé l'aiguille de la semaine dernière, avec un morceau de fil encore dans le chas, piquée dans le revers de ma trousse à broderie, et j'ai pensé le coeur serré que la fois où je l'avais piquée là, il y a juste sept jours, elle était encore en moi. Je lui avais parlé en brodant, assise dans le fauteuil, pendant que mes J faisaient les courses.
Pendant que je brodais aujourd'hui, J s'inquiétait de savoir si je faisais bien parfaitement, exactement, tout à fait, comme pour elle. Oui, oui, le même fil, le même coeur, le même rond, les mêmes tissus.
Nous avons parlé du manque d'elle, de la chance qu'elle a eu d'avoir un si chouette grand frère, pendant sa si courte vie. Nous avons parlé du fait qu'ils étaient un peu reliés par leurs coeurs brodés, maintenant. Nous avons parlé des guilis qu'il lui faisait, à travers la peau de mon ventre. Nous avons parlé de pourquoi c'était important pour moi qu'elle soit incinérée avec son petit coeur brodé tout contre elle.
Et puis je lui ai expliqué comment nous avions choisi le prénom de cette si petite soeur, un prénom qui signifiait quelque chose pour nous et qui, je le sais, a signifié aussi quelque chose pour lui, ce matin, après mon explication. Ce n'était pas juste un prénom très très beau, c'était aussi un prénom qui parlait de confiture d'abricot et du moelleux du ventre de la mère.
Après ça, il était tout mou, tout souriant, calmé.
Ca lui a fait du bien, et c'était bien pour ça que j'avais accepté, ce matin, après le petit-déjeuner, de lui faire le même petit coeur brodé.
Mais je n'avais pas vu venir la paix qui m'a envahie moi aussi.

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