le coeur
Je n'avais pas imaginé le bien que ça me ferait.
C'était son idée, il voulait exactement le même coeur brodé que celui que je lui ai bricolé, à elle.
Depuis la semaine dernière, depuis qu'il l'avait vu, ce coeur, il voulait le sien.
J'avais dit oui mais je ne l'avais pas encore fait, je crois que je n'avais pas calculé la puissance de cette minuscule broderie.
J'avais brodé un minuscule coeur sur un petit morceau de tissu blanc, doublé d'un petit reste de liberty à fleurs, dans l'idée de le mettre tout contre cette minuscule petite fille. Je pensais le faire pour elle, pour l'accompagner, pour lui dire encore et encore combien je l'aimais, et pour lui tenir chaud.
Et il s'est avéré que ce coeur allait nous soigner, nous accompagner, nous tenir chaud, à nous aussi. A lui, et à moi.
Ce matin, il a pleuré, il était triste, elle lui manquait. Il nous a dit que tout ça l'énervait.
Pendant le petit-déjeuner, il a réitéré sa demande que je lui brode le même coeur que le sien, celui qu'on lui a laissé, serré entre ses mains et son coeur.
Je n'avais qu'à moitié envie, mais j'ai dit oui, et ça l'a tout de suite rendu heureux. Je voulais l'apaiser, lui faire du bien.
Alors après ma douche, nous avons ressorti ma valise de tissus, il insistait sur l'importance d'utiliser exactement les mêmes, que nous avons retrouvés tout de suite sur le dessus, puisque le sien, je l'avais brodé il y a tout juste sept jours.
Il voulait que le petit rond de tissu blanc sur lequel j'allais broder soit exactement de la même taille, et heureusement, il restait le trou rond découpé dans le tissu la semaine dernière, pour avoir la même taille et même exactement la même forme de rond un peu ovale.
Il ne restait presque plus du fil à broder rouge, mais en utilisant tous les micros morceaux qui restaient, je suis arrivée au bout du coeur.
J'ai retrouvé l'aiguille de la semaine dernière, avec un morceau de fil encore dans le chas, piquée dans le revers de ma trousse à broderie, et j'ai pensé le coeur serré que la fois où je l'avais piquée là, il y a juste sept jours, elle était encore en moi. Je lui avais parlé en brodant, assise dans le fauteuil, pendant que mes J faisaient les courses.
Pendant que je brodais aujourd'hui, J s'inquiétait de savoir si je faisais bien parfaitement, exactement, tout à fait, comme pour elle. Oui, oui, le même fil, le même coeur, le même rond, les mêmes tissus.
Nous avons parlé du manque d'elle, de la chance qu'elle a eu d'avoir un si chouette grand frère, pendant sa si courte vie. Nous avons parlé du fait qu'ils étaient un peu reliés par leurs coeurs brodés, maintenant. Nous avons parlé des guilis qu'il lui faisait, à travers la peau de mon ventre. Nous avons parlé de pourquoi c'était important pour moi qu'elle soit incinérée avec son petit coeur brodé tout contre elle.
Et puis je lui ai expliqué comment nous avions choisi le prénom de cette si petite soeur, un prénom qui signifiait quelque chose pour nous et qui, je le sais, a signifié aussi quelque chose pour lui, ce matin, après mon explication. Ce n'était pas juste un prénom très très beau, c'était aussi un prénom qui parlait de confiture d'abricot et du moelleux du ventre de la mère.
Après ça, il était tout mou, tout souriant, calmé.
Ca lui a fait du bien, et c'était bien pour ça que j'avais accepté, ce matin, après le petit-déjeuner, de lui faire le même petit coeur brodé.
Mais je n'avais pas vu venir la paix qui m'a envahie moi aussi.